Re: [cinEtic] Tentative de système ludico-narratif générique
Publié : dim. févr. 27, 2011 4:32 am
Séquence 2 : "Préparatifs"
Quand le jour se lève à nouveau sur Tal Endhil, le Capitaine Durgaut constate que malgré deux belles victoires héroïques la veille, les villageois sont pour la plupart morts de trouille et que les candidats au départ sont encore assez nombreux, mais hésitants (faut-il faire confiance aux Kormes ? Et où aller dans cette contrée sauvage ?). Certains marchands essayent d'ailleurs de lui faire payer les dettes impériales pour partir les poches pleines, mais il leur répond systématiquement "après la bataille". Nombre d'Elloran hésitent d'ailleurs à se réfugier parmi leurs frères du Cercle des Cascades (il faut dire que le quartier lacustre est certainement le plus exposé), mais les guerriers de Nasheda Liman ont fait serment de rester et ils tiendront.
Le tour des renforts possibles est rapidement fait : en dehors des Elloran du Cercle des Cascades ("(Sheb) Gash'Gehil"), seule le clan des Liam'Lon (les "faucons-chanteurs", de la même tribu que les Elloran) possèdent assez de guerriers pour s'opposer aux Kormes et, bien qu'ils aient eu quelques différents avec les Défunts, ils vivent hors des frontières de la Marche, se préoccupent peu des "Dirsen" et seraient difficiles à contacter et à rassembler dans les temps : en cette saison, un de leur campement doit être installé près du lac inférieur pour y puiser la tourbe, mais ce sont des nomades dispersés sur un territoire plus grand que la marche elle-même.
Un pigeon a aussi été envoyé à Solerane pour demander du renfort, même s'il est peu probable que la garnison de là-bas puisse se permettre d'en envoyer (si même il pouvaient arriver à temps) et un messager discret est parti vers la proche mine de fer pour prévenir les mineurs de se rapatrier au village.
Les éclaireurs d'Aenid Lamdan rapportent d'ailleurs que la plupart des Kormes sont rassemblés au lac supérieur ("Andh Endhil", le Deuxième Lac), où leur chef Lashdan doit être en train de leur exposer son plan de bataille, et Nevel fait à ses camarades le récit de ce qu'il a appris depuis qu'il les laissés sur la route du sud... Cette histoire de "Kormes-chevelus" achevant les Kormes "normalement chauves" intrigue tout le monde, mais personne ne voit encore ce qu'elle peut signifier. Ré-interrogée à ce sujet, Islinna se souvient que les assassins du Pic Blanc étaient particulièrement chargés, non seulement de matériel de guerre mais surtout de volumineux tambours et de trompes : "Des Albannak !" s'exclame Nashe, "ce sont des musiciens de guerre, ils jouent pour coordonner les troupes, transmettre des ordres, effrayer l'ennemi ou soutenir les assauts. Ça (coup d'œil gêné aux impériaux, parce qu'en fait c'est plus ou moins "magique")... ça renforce grandement l'efficacité des troupes, mais... c'est un art plus ou moins perdu : on en a plus vu depuis les premières grandes batailles d'invasion... hem. Je ne suis même pas certaine de connaître une tribu de la Région des lacs qui ait encore des orchestres de bataille.
_Mais il y a d'autres tribus qui en ont ?
_Hé bien... peut-être les Tallalnen (les "Harfangs") de la Marche des Gemmes, mais certainement les Arkonnelkan ("les Condors")*...
_M'étonnerait, tranche Nevel : les Arkonnelkan sont des insoumis confinés dans leur domaine des Montagnes des Épées, à l'autre bout de la Marche des Lisières, derrière la forteresse de Mont-Griffon et un solide cordon de troupes impériales. Je ne vois pas comment ils auraient pu traverser tout le Pays des Vents pour venir soutenir Lashdan. Ni pourquoi ils se déguiseraient en Kormes...
_Les Arkonnelkan ont quand-même essayer de fédérer le Peuple du Vent par la force, avant l'arrivée des Dirsen. C'est aussi les seuls qui soient encore en guerre ouverte avec l'Empire...
_Une espèce d'opération clandestine ?
_Des Emishen qui font des "opérations clandestines", sérieusement ?
_Mouais...
_En tous cas, il y a maintenant moyen de convaincre les Elloran que les Kormes bafouent les lois de la guerre, et peut-être de les décider à défendre Tal Endhil."
Dans la matinée, Durgaut rassemble à nouveau le village devant l'Auberge du Cygne et leur fait son grand "discours de la Saint-Crépin" : les Kormes sont pour l'instant trois ou quatre fois plus nombreux que les défenseurs et le combat va être rude, mais il n'est pas question d'abandonner la place. D'abord parce l'évacuation impliquerait de partir en convoi sur le territoire des Kormes sans guère de protection et que le massacre des Lewyllen du Pic Blanc augure assez mal de leur promesse de laisser partir les colons : mêmes les Emishens ne sont plus en sécurité face aux Kormes.
Ensuite parce que si Tal Endhil tombe, en tant que poste avancé impérial le plus septentrional des Marches du Nord, il y a de bonnes chances que toute la Marche des Lacs tombe également, y compris les quelques cités où l'on pourrait se réfugier. Mais surtout parce que les colons et les indigènes ont travaillé trop dur pour bâtir ensemble Tal Endhil un village fraternel où l'existence est certes dure, mais où les gens entreprenant ont la chance de gagner leur vie, où tous les peuples peuvent vivre en bonne intelligence (ahem... oui bon, c'est un discours, quoi) et qui, au final, appartient à ceux qui l'ont fondé. Alors on va se battre pour le garder.
Ceux qui veulent partir peuvent tenter leur chance sans escorte s'ils croient aux promesses des Kormes, la petite ville minière de Solerane est à deux ou trois jours de marche plein sud. Ceux qui restent vont devoir s'armer et se préparer à vendre chèrement leurs peaux, leur maison et leurs troupeaux. Et ça, on va le faire tous ensemble, parce qu'à l'heure de combattre, il n'y a pas de place pour les dissensions et beaucoup de travail à faire avant le soir si l'ont veut avoir une chance de gagner. Parce que cette chance existe, Durgaut et ses hommes entendent bien le leur prouver...
Le Capitaine est d'ailleurs en grande discussion avec son état-major bigarré -Nasheda Liman ne semblant plus vouloir faire semblant d'assurer la direction des troupes- lorsque Adira Pratesh lui soumet un parchemin calligraphié avec soins : la Charte de Fondation de la Guilde Indépendante de Tal Endhil : "C'est une plaisanterie ou encore une de vos arnaques ?
_C'est le document qui va convaincre les marchands et artisans locaux de vous aider au lieu de ficher le camp ou de se tirer dans les pattes. A mon avis, vous devriez signer, annonce le fehnri avec un large sourire.
_Faîtes-voir votre torchon.... exemptions de taxes variées, liberté d'entreprendre, paiement des dettes impériale : vous manquez pas d'air... et une voix au conseil du village ? Mais il n'y a pas de "conseil du village", c'est un avant-poste militaire, ici !
_Ah bon ? Parce qu'en entendant votre discours, j'ai cru qu'on était une grande communauté soudée vivant et combattant ensemble... Et puis si on meurt tous demain ça n'aura pas d'importance, alors que si ça participe à sauver votre "avant-poste", ce n'est qu'un petit prix à payer, non ?
_Bon... j'imagine que vous avez apporté plume et encrier ?"
Le sourire d'Adira s'élargit encore.
[Et 1pH supplémentaire pour le marchand Fehnri !]
Rassemblés dans la grande salle de l'auberge, nos héros mettent au point leur plan de bataille.
D'abord, renforcer les fortifications malmenées par l'incendie :
un groupe d'ouvrier sortira du village par des échelles depuis la tour est pour aller abattre le pont sur la douve nord et déblayer le fossé, afin de renforcer la porte nord. Des archers les protégeront depuis les remparts. Quitte à démonter la charpente des granges inutilisées ("Pas sûr qu'il en reste, avec tous les réfugiés qu'il a fallu loger...") ou les charriots des caravaniers, il faut dégager des madriers pour condamner le portail, du bois pour rétablir un semblant de parapet sur la partie haute du donjon et la courtine au dessus de la porte : toute la partie Nord du rempart doit pouvoir soutenir un assaut en règle d'ici le lendemain matin et le capitaine désigne des groupes d'ouvriers qui travailleront sous les ordres de Maître Osric, le menuisier du village.
Charrette, meubles et fagots seront installés en barricades dans les rues proches de la porte sud, afin d'empêcher la cavalerie korme d'envahir le village si le portail cédait. De même, une second ligne de défense sera dressée au pied de la colline du donjon, au nord de la place du marché à partir de l'Auberge du Cygne, là où les maisons sont pour la plupart en pierres : si l'ennemi franchissait l'enceinte principale, le village aurait son bastion.
Une discussion avec les paysans révèle qu'on peut inonder les champs de millet de toute la rive est... si on est prêts à se rendre plusieurs lieues en aval pour ouvrir les canaux d'irrigation : on le fait à a chaque printemps après les semailles et si cela n'empêchera pas des hommes décider de s'avancer dans un demi-mètre de boue, ça compliquera leur déplacement et empêchera les mouvements de cavalerie entre les portes nord et sud du village, gênant nettement l'organisation des troupes ennemies. Après une énième négociation, Malvolio et ses contrebandiers sont désignés pour se glisser en aval avec un métayer qui connaît bien le système.
La barrière lacustre formée par les barges kerdanes et les pirogues indigènes est encore insuffisante, mais les bateliers, les pêcheurs emishen et les mercenaires en ont discuté et proposent une idée : aux abords du village, le lac est assez peu profonds pour qu'on plante à bonne distance de solides poteaux qui ne dépasseraient pas de la surface des eaux mais gêneront grandement la progression de lourdes pirogues chargées. Certains proposent aussi d'abattre toutes les échelles des huttes donnant vers le lac, afin d'opposer à un assaut un mur presque uni de plateformes difficiles à escalader et garnies de défenseurs. Des filets garnis d'hameçons et des chevaux de frise improvisés peuvent encore être dispersés parmi les pilotis : tout ça ne formera pas une véritable muraille et le quartier lacustre restera le point faible de l'enceinte, mais tout ce qui peut freiner un assaut par le lac est bon à prendre.
Le plus important reste d'armer les colons. Tout ce qui peut servir d'arme doit être récupéré, transformé si besoin par le forgeron Talbard et ses apprentis, puis distribué aux défenseurs avant le lendemain. Toutes les armes disponibles (y compris celles récupérées par les Pratesh lors de l'attaque du convoi, qu'ils acceptent d'offrir "en signe de bonne foi"), le fond de stock des contrebandiers et toutes les réserves des caravaniers sont mises à contribution : il y a actuellement près de 300 personnes au village capables de tenir une arme si on leur en donnait, et la défense nécessitera jusqu'à la dernière d'entre elles. Pour l'instant, il y a peut-être 3 ou 400 guerriers Kormes pour seulement 130 hommes en armes côté défenseur, une fois compté tous les bateliers Kerdans (dont les faibles renforts qui doivent arriver du comptoir "Écume 6"), les colons qu'on peut espérer armer, les guerriers Elloran, les mercenaires et les trappeurs... C'est désespérément peu.
Mais ce qui inquiète le plus les défenseurs, c'est la poix dont dispose les Kormes : avec les jattes d'huile de naphte que leur a livré Malvolio et les quantités infinies de tourbe issue des marais, ils ont de quoi produire des quantités astronomiques de projectiles incendiaires. "En combien de temps ? finit-on par demander à l'alchimiste kerdan.
_S'ils ont commencé le travail hier matin... peut-être trois-quatre jours, ça dépend de leur atelier.
_Il faut un atelier ?
_Holà oui : un endroit sec, sans trop de courants d'air et débarrassé d'autres produits dangereux où ils pourront mélanger la naphte et la résine, sécher la tourbe, la tremper dans la poix, la sécher à nouveau, l'attacher sur les flèches et les lances...
_Mais ils pourraient avoir plusieurs ateliers dans les différents campements, non ?
_Des campements ? Je ne vous conseillerai pas de lancer ce genre de préparation dans une tente... Il faut une construction en dur, des claies et des braséros pour sécher l'étoupe, tout ça à l'écart de l'huile brute si vous ne voulez pas risquer une catastrophe... Et pas mal de monde, évidemment.
_Il n'y avait pas des huttes, de l'autre côté de la colline, quand on a attaqué le camp d'Etayn-la-Louve ?
_Si... des huttes avec des cheminées qui fumaient et des troupeaux de types dedans... et le tout sur une butte au milieu des marais.
_Alors on y retourne. Dès la nuit tombée. Prévenez Malvolio.
_Je crois qu'il va être assez drôle de les faire cramer avec leur propre poix.
_Je pensais plutôt à la leur prendre : elle pourrait nous rendre bien des services. Dîtes-donc l'alchimiste, ça flotte la poix ?
_Hé bien... pas exactement mais sur une eau calme, ça s'étale d'abord en pellicule et...
_Ça peut encore s'enflammer ?
_Si on attend pas trop, j'imagine que oui.
_Alors on va leur prendre leur poix ET leurs flèches incendiaires : je crois qu'une attaque par le lac va leur laisser des souvenirs !
_Dîtes, puisque vous vous risquerez déjà dehors pour tout ça", intervient Islinna "...vous pourriez me déposer au Cercle des Cascades ? Vous aurez besoin de moi pour parler aux Elloran... Il y a des centaines de guerriers là-haut, qui doivent commencer à savoir que les Kormes et leurs amis Albannak ont massacré les Lewyllen : je crois qu'il est possible de les convaincre d'envoyer des troupes à Tal Endhil.
_Alors d'abord l'atelier de poix, puis le Cercle des Cascades : ce n'est pas encore cette nuit que nous dormiront beaucoup."
L'après-midi s'avance et les travaux progressent : Vighnu Pratesh a réquisitionné des tables et des bancs pour installer un dispensaire dans la grange louée par son cousin, comme il l'expliquait au Capitaine quand on vient prévenir celui-ci que Totor le géant balance des tonneaux par-dessus une maison : "Mais qu'est-ce que vous faîtes encore comme conneries ?!? Vous voulez tuer quelqu'un ?! demande-t-il à Adira qui était apparemment en train d'entraîner le Géant à ce dangereux exercice.
_Tout à fait ! Vous tombez bien, ça va vous intéresser : peut-être savez-vous que les Géants ont horreur de la violence et qu'il est à peu près impossible de les inciter à faire du mal aux gens...
_Quel rapport avec vos lancers de tonneaux là ?
_...mais ils sont presque aussi habiles qu'ils sont forts et ils effectuent volontiers n'importe quelles tâches qu'on leur demande, pour peu qu'ils n'y voient pas de conséquences dérangeantes. Par exemple, s'ils ne voient pas où tombent ce qu'ils lancent, ils ne voient pas non plus d'inconvénient à le lancer.
_Vous voulez dire qu'il pourrait... balancer des rochers, des trucs comme ça... si c'est "en aveugle", par-dessus les murailles ?
_Capitaine, j'ai le plaisir de vous présenter Totor-le-Trébuchet ! Et parmi les choses qu'il pourrait lancer, j'avais penser à de grandes jarres d'huile de naphte..."
Alors le fringant capitaine et le petit fehnri échangent un large sourire.
[Fin de la deuxième séquence, tout ceux qui ont proposé et mis en place de bonnes idées pour la défense gagnent 1pH.]
Extrait de la carte de la Marche des Lacs :
1 - le hameau de Bedlam / 2 - le camp Lewyllen du "Pic Blanc" / 3 - les héros rencontrent Islinna dans le torrent /
4 - Col de l'Aïeule / 5 - Cercle des Cascades (Sheb "Gash Gehil") / 6 - Camp des Kormes d'Etayn-la-Louve (et son atelier de poix) /
7 - Camps des Kormes de Lashdan / 8 - territoire des nomades Liam'Lon / 9 - Mine de Fer
La carte complète de la Marche, si ça vous intéresse :
_____________________
Petit récapitulatif des Tribus et Clans emishen mentionnés jusqu'ici :
La Tribu des Si'Olonil (les "falconidés" en gros) de la région des Lacs est composée de 3 clans voisins mais assez hétérogènes : les pacifiques Elloran ("éperviers pêcheurs") qui tentent de vivre en bonne intelligence avec un peu tout le monde, les nomades Liam'Lon (les "faucons chanteurs", puissants mais dispersé) et les tumultueux Oloden ("crécerelles des rivages"), éleveurs de chevaux et marins techniquement insoumis à l'Empire (qui s'en fout un peu, y a pas de minerai dans leurs plaines côtières).
Ces deux derniers clans prendront de l'importance dans la suite de la campagne, au fur et à mesure que les PJ se mêleront de la géo-politique locale.
La Tribu des Lewyllen ("corneilles migratrices") n'est pas divisée en clans mais en caravanes qui parcourent le Pays des Vents (et même au delà, on en trouve jusque dans al zone nord de l'Empire) pour commercer (des tas de trucs, mais notamment des chevaux et des géants) et colporter les nouvelles. Ce sont les seuls qui tirent un certain profit de la présence impériale et ça ne plaît pas toujours à leurs frères.
La Tribu des Arkonnelkan ("condors") est la plus nombreuse et la plus belliqueuse, la seule qui soit réellement sédentaire et en guerre ouverte avec l'occupant depuis le haut massif appelé "Montagnes des Épées" qui forme une péninsule, fermée à l'ouest par une ligne compacte de fortins impériaux et au sud par l'Empire lui-même (et plus précisément le duché d'Orsane, dont le Duc est techniquement Gouverneur des Marches du Nord : s'il n'y avait ces imprenables montagnes peuplés de barbares sanguinaires entre les Marches et sont duché, la conquête serait bouclée depuis longtemps). Évidemment, les Arkonnelkan aurait bien besoin d'un embrasement général des tribus emishen pour se "désenclaver".
Les Kormes ("les défunts") ne forment pas (encore) une tribu mais une kyrielle de petites bandes qui, en rupture avec leurs clans d'origine, prennent le nom de leurs sites funéraires. Bien qu'ils représentent un danger constant pour les colons rémans, ils ne menaçaient pas vraiment la stabilité des Marches tant qu'ils étaient divisés. Mais depuis peu leur héros "Lashdan" a entrepris d'unifier les Kormes pour reconquérir le territoire en commençant par son maillon le plus faible, la Marche des Lacs, et donc l'avant-poste impérial le plus avancé : Tal Endhil.
Cette conquête est aussi, à bien des égards, un "galop d'essai" pour l'armée des Défunts qui s'essaye pour la première fois aux batailles rangées, à la stratégie d'envergure et aux armes "modernes". Heureusement pour eux, des emishen beaucoup plus expérimentés en la matière ont décidé de leur filer un coup de main...
Quand le jour se lève à nouveau sur Tal Endhil, le Capitaine Durgaut constate que malgré deux belles victoires héroïques la veille, les villageois sont pour la plupart morts de trouille et que les candidats au départ sont encore assez nombreux, mais hésitants (faut-il faire confiance aux Kormes ? Et où aller dans cette contrée sauvage ?). Certains marchands essayent d'ailleurs de lui faire payer les dettes impériales pour partir les poches pleines, mais il leur répond systématiquement "après la bataille". Nombre d'Elloran hésitent d'ailleurs à se réfugier parmi leurs frères du Cercle des Cascades (il faut dire que le quartier lacustre est certainement le plus exposé), mais les guerriers de Nasheda Liman ont fait serment de rester et ils tiendront.
Le tour des renforts possibles est rapidement fait : en dehors des Elloran du Cercle des Cascades ("(Sheb) Gash'Gehil"), seule le clan des Liam'Lon (les "faucons-chanteurs", de la même tribu que les Elloran) possèdent assez de guerriers pour s'opposer aux Kormes et, bien qu'ils aient eu quelques différents avec les Défunts, ils vivent hors des frontières de la Marche, se préoccupent peu des "Dirsen" et seraient difficiles à contacter et à rassembler dans les temps : en cette saison, un de leur campement doit être installé près du lac inférieur pour y puiser la tourbe, mais ce sont des nomades dispersés sur un territoire plus grand que la marche elle-même.
Un pigeon a aussi été envoyé à Solerane pour demander du renfort, même s'il est peu probable que la garnison de là-bas puisse se permettre d'en envoyer (si même il pouvaient arriver à temps) et un messager discret est parti vers la proche mine de fer pour prévenir les mineurs de se rapatrier au village.
Les éclaireurs d'Aenid Lamdan rapportent d'ailleurs que la plupart des Kormes sont rassemblés au lac supérieur ("Andh Endhil", le Deuxième Lac), où leur chef Lashdan doit être en train de leur exposer son plan de bataille, et Nevel fait à ses camarades le récit de ce qu'il a appris depuis qu'il les laissés sur la route du sud... Cette histoire de "Kormes-chevelus" achevant les Kormes "normalement chauves" intrigue tout le monde, mais personne ne voit encore ce qu'elle peut signifier. Ré-interrogée à ce sujet, Islinna se souvient que les assassins du Pic Blanc étaient particulièrement chargés, non seulement de matériel de guerre mais surtout de volumineux tambours et de trompes : "Des Albannak !" s'exclame Nashe, "ce sont des musiciens de guerre, ils jouent pour coordonner les troupes, transmettre des ordres, effrayer l'ennemi ou soutenir les assauts. Ça (coup d'œil gêné aux impériaux, parce qu'en fait c'est plus ou moins "magique")... ça renforce grandement l'efficacité des troupes, mais... c'est un art plus ou moins perdu : on en a plus vu depuis les premières grandes batailles d'invasion... hem. Je ne suis même pas certaine de connaître une tribu de la Région des lacs qui ait encore des orchestres de bataille.
_Mais il y a d'autres tribus qui en ont ?
_Hé bien... peut-être les Tallalnen (les "Harfangs") de la Marche des Gemmes, mais certainement les Arkonnelkan ("les Condors")*...
_M'étonnerait, tranche Nevel : les Arkonnelkan sont des insoumis confinés dans leur domaine des Montagnes des Épées, à l'autre bout de la Marche des Lisières, derrière la forteresse de Mont-Griffon et un solide cordon de troupes impériales. Je ne vois pas comment ils auraient pu traverser tout le Pays des Vents pour venir soutenir Lashdan. Ni pourquoi ils se déguiseraient en Kormes...
_Les Arkonnelkan ont quand-même essayer de fédérer le Peuple du Vent par la force, avant l'arrivée des Dirsen. C'est aussi les seuls qui soient encore en guerre ouverte avec l'Empire...
_Une espèce d'opération clandestine ?
_Des Emishen qui font des "opérations clandestines", sérieusement ?
_Mouais...
_En tous cas, il y a maintenant moyen de convaincre les Elloran que les Kormes bafouent les lois de la guerre, et peut-être de les décider à défendre Tal Endhil."
Dans la matinée, Durgaut rassemble à nouveau le village devant l'Auberge du Cygne et leur fait son grand "discours de la Saint-Crépin" : les Kormes sont pour l'instant trois ou quatre fois plus nombreux que les défenseurs et le combat va être rude, mais il n'est pas question d'abandonner la place. D'abord parce l'évacuation impliquerait de partir en convoi sur le territoire des Kormes sans guère de protection et que le massacre des Lewyllen du Pic Blanc augure assez mal de leur promesse de laisser partir les colons : mêmes les Emishens ne sont plus en sécurité face aux Kormes.
Ensuite parce que si Tal Endhil tombe, en tant que poste avancé impérial le plus septentrional des Marches du Nord, il y a de bonnes chances que toute la Marche des Lacs tombe également, y compris les quelques cités où l'on pourrait se réfugier. Mais surtout parce que les colons et les indigènes ont travaillé trop dur pour bâtir ensemble Tal Endhil un village fraternel où l'existence est certes dure, mais où les gens entreprenant ont la chance de gagner leur vie, où tous les peuples peuvent vivre en bonne intelligence (ahem... oui bon, c'est un discours, quoi) et qui, au final, appartient à ceux qui l'ont fondé. Alors on va se battre pour le garder.
Ceux qui veulent partir peuvent tenter leur chance sans escorte s'ils croient aux promesses des Kormes, la petite ville minière de Solerane est à deux ou trois jours de marche plein sud. Ceux qui restent vont devoir s'armer et se préparer à vendre chèrement leurs peaux, leur maison et leurs troupeaux. Et ça, on va le faire tous ensemble, parce qu'à l'heure de combattre, il n'y a pas de place pour les dissensions et beaucoup de travail à faire avant le soir si l'ont veut avoir une chance de gagner. Parce que cette chance existe, Durgaut et ses hommes entendent bien le leur prouver...
Le Capitaine est d'ailleurs en grande discussion avec son état-major bigarré -Nasheda Liman ne semblant plus vouloir faire semblant d'assurer la direction des troupes- lorsque Adira Pratesh lui soumet un parchemin calligraphié avec soins : la Charte de Fondation de la Guilde Indépendante de Tal Endhil : "C'est une plaisanterie ou encore une de vos arnaques ?
_C'est le document qui va convaincre les marchands et artisans locaux de vous aider au lieu de ficher le camp ou de se tirer dans les pattes. A mon avis, vous devriez signer, annonce le fehnri avec un large sourire.
_Faîtes-voir votre torchon.... exemptions de taxes variées, liberté d'entreprendre, paiement des dettes impériale : vous manquez pas d'air... et une voix au conseil du village ? Mais il n'y a pas de "conseil du village", c'est un avant-poste militaire, ici !
_Ah bon ? Parce qu'en entendant votre discours, j'ai cru qu'on était une grande communauté soudée vivant et combattant ensemble... Et puis si on meurt tous demain ça n'aura pas d'importance, alors que si ça participe à sauver votre "avant-poste", ce n'est qu'un petit prix à payer, non ?
_Bon... j'imagine que vous avez apporté plume et encrier ?"
Le sourire d'Adira s'élargit encore.
[Et 1pH supplémentaire pour le marchand Fehnri !]
Rassemblés dans la grande salle de l'auberge, nos héros mettent au point leur plan de bataille.
D'abord, renforcer les fortifications malmenées par l'incendie :
un groupe d'ouvrier sortira du village par des échelles depuis la tour est pour aller abattre le pont sur la douve nord et déblayer le fossé, afin de renforcer la porte nord. Des archers les protégeront depuis les remparts. Quitte à démonter la charpente des granges inutilisées ("Pas sûr qu'il en reste, avec tous les réfugiés qu'il a fallu loger...") ou les charriots des caravaniers, il faut dégager des madriers pour condamner le portail, du bois pour rétablir un semblant de parapet sur la partie haute du donjon et la courtine au dessus de la porte : toute la partie Nord du rempart doit pouvoir soutenir un assaut en règle d'ici le lendemain matin et le capitaine désigne des groupes d'ouvriers qui travailleront sous les ordres de Maître Osric, le menuisier du village.
Charrette, meubles et fagots seront installés en barricades dans les rues proches de la porte sud, afin d'empêcher la cavalerie korme d'envahir le village si le portail cédait. De même, une second ligne de défense sera dressée au pied de la colline du donjon, au nord de la place du marché à partir de l'Auberge du Cygne, là où les maisons sont pour la plupart en pierres : si l'ennemi franchissait l'enceinte principale, le village aurait son bastion.
Une discussion avec les paysans révèle qu'on peut inonder les champs de millet de toute la rive est... si on est prêts à se rendre plusieurs lieues en aval pour ouvrir les canaux d'irrigation : on le fait à a chaque printemps après les semailles et si cela n'empêchera pas des hommes décider de s'avancer dans un demi-mètre de boue, ça compliquera leur déplacement et empêchera les mouvements de cavalerie entre les portes nord et sud du village, gênant nettement l'organisation des troupes ennemies. Après une énième négociation, Malvolio et ses contrebandiers sont désignés pour se glisser en aval avec un métayer qui connaît bien le système.
La barrière lacustre formée par les barges kerdanes et les pirogues indigènes est encore insuffisante, mais les bateliers, les pêcheurs emishen et les mercenaires en ont discuté et proposent une idée : aux abords du village, le lac est assez peu profonds pour qu'on plante à bonne distance de solides poteaux qui ne dépasseraient pas de la surface des eaux mais gêneront grandement la progression de lourdes pirogues chargées. Certains proposent aussi d'abattre toutes les échelles des huttes donnant vers le lac, afin d'opposer à un assaut un mur presque uni de plateformes difficiles à escalader et garnies de défenseurs. Des filets garnis d'hameçons et des chevaux de frise improvisés peuvent encore être dispersés parmi les pilotis : tout ça ne formera pas une véritable muraille et le quartier lacustre restera le point faible de l'enceinte, mais tout ce qui peut freiner un assaut par le lac est bon à prendre.
Le plus important reste d'armer les colons. Tout ce qui peut servir d'arme doit être récupéré, transformé si besoin par le forgeron Talbard et ses apprentis, puis distribué aux défenseurs avant le lendemain. Toutes les armes disponibles (y compris celles récupérées par les Pratesh lors de l'attaque du convoi, qu'ils acceptent d'offrir "en signe de bonne foi"), le fond de stock des contrebandiers et toutes les réserves des caravaniers sont mises à contribution : il y a actuellement près de 300 personnes au village capables de tenir une arme si on leur en donnait, et la défense nécessitera jusqu'à la dernière d'entre elles. Pour l'instant, il y a peut-être 3 ou 400 guerriers Kormes pour seulement 130 hommes en armes côté défenseur, une fois compté tous les bateliers Kerdans (dont les faibles renforts qui doivent arriver du comptoir "Écume 6"), les colons qu'on peut espérer armer, les guerriers Elloran, les mercenaires et les trappeurs... C'est désespérément peu.
Mais ce qui inquiète le plus les défenseurs, c'est la poix dont dispose les Kormes : avec les jattes d'huile de naphte que leur a livré Malvolio et les quantités infinies de tourbe issue des marais, ils ont de quoi produire des quantités astronomiques de projectiles incendiaires. "En combien de temps ? finit-on par demander à l'alchimiste kerdan.
_S'ils ont commencé le travail hier matin... peut-être trois-quatre jours, ça dépend de leur atelier.
_Il faut un atelier ?
_Holà oui : un endroit sec, sans trop de courants d'air et débarrassé d'autres produits dangereux où ils pourront mélanger la naphte et la résine, sécher la tourbe, la tremper dans la poix, la sécher à nouveau, l'attacher sur les flèches et les lances...
_Mais ils pourraient avoir plusieurs ateliers dans les différents campements, non ?
_Des campements ? Je ne vous conseillerai pas de lancer ce genre de préparation dans une tente... Il faut une construction en dur, des claies et des braséros pour sécher l'étoupe, tout ça à l'écart de l'huile brute si vous ne voulez pas risquer une catastrophe... Et pas mal de monde, évidemment.
_Il n'y avait pas des huttes, de l'autre côté de la colline, quand on a attaqué le camp d'Etayn-la-Louve ?
_Si... des huttes avec des cheminées qui fumaient et des troupeaux de types dedans... et le tout sur une butte au milieu des marais.
_Alors on y retourne. Dès la nuit tombée. Prévenez Malvolio.
_Je crois qu'il va être assez drôle de les faire cramer avec leur propre poix.
_Je pensais plutôt à la leur prendre : elle pourrait nous rendre bien des services. Dîtes-donc l'alchimiste, ça flotte la poix ?
_Hé bien... pas exactement mais sur une eau calme, ça s'étale d'abord en pellicule et...
_Ça peut encore s'enflammer ?
_Si on attend pas trop, j'imagine que oui.
_Alors on va leur prendre leur poix ET leurs flèches incendiaires : je crois qu'une attaque par le lac va leur laisser des souvenirs !
_Dîtes, puisque vous vous risquerez déjà dehors pour tout ça", intervient Islinna "...vous pourriez me déposer au Cercle des Cascades ? Vous aurez besoin de moi pour parler aux Elloran... Il y a des centaines de guerriers là-haut, qui doivent commencer à savoir que les Kormes et leurs amis Albannak ont massacré les Lewyllen : je crois qu'il est possible de les convaincre d'envoyer des troupes à Tal Endhil.
_Alors d'abord l'atelier de poix, puis le Cercle des Cascades : ce n'est pas encore cette nuit que nous dormiront beaucoup."
L'après-midi s'avance et les travaux progressent : Vighnu Pratesh a réquisitionné des tables et des bancs pour installer un dispensaire dans la grange louée par son cousin, comme il l'expliquait au Capitaine quand on vient prévenir celui-ci que Totor le géant balance des tonneaux par-dessus une maison : "Mais qu'est-ce que vous faîtes encore comme conneries ?!? Vous voulez tuer quelqu'un ?! demande-t-il à Adira qui était apparemment en train d'entraîner le Géant à ce dangereux exercice.
_Tout à fait ! Vous tombez bien, ça va vous intéresser : peut-être savez-vous que les Géants ont horreur de la violence et qu'il est à peu près impossible de les inciter à faire du mal aux gens...
_Quel rapport avec vos lancers de tonneaux là ?
_...mais ils sont presque aussi habiles qu'ils sont forts et ils effectuent volontiers n'importe quelles tâches qu'on leur demande, pour peu qu'ils n'y voient pas de conséquences dérangeantes. Par exemple, s'ils ne voient pas où tombent ce qu'ils lancent, ils ne voient pas non plus d'inconvénient à le lancer.
_Vous voulez dire qu'il pourrait... balancer des rochers, des trucs comme ça... si c'est "en aveugle", par-dessus les murailles ?
_Capitaine, j'ai le plaisir de vous présenter Totor-le-Trébuchet ! Et parmi les choses qu'il pourrait lancer, j'avais penser à de grandes jarres d'huile de naphte..."
Alors le fringant capitaine et le petit fehnri échangent un large sourire.
[Fin de la deuxième séquence, tout ceux qui ont proposé et mis en place de bonnes idées pour la défense gagnent 1pH.]
Extrait de la carte de la Marche des Lacs :
1 - le hameau de Bedlam / 2 - le camp Lewyllen du "Pic Blanc" / 3 - les héros rencontrent Islinna dans le torrent /
4 - Col de l'Aïeule / 5 - Cercle des Cascades (Sheb "Gash Gehil") / 6 - Camp des Kormes d'Etayn-la-Louve (et son atelier de poix) /
7 - Camps des Kormes de Lashdan / 8 - territoire des nomades Liam'Lon / 9 - Mine de Fer
La carte complète de la Marche, si ça vous intéresse :
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Petit récapitulatif des Tribus et Clans emishen mentionnés jusqu'ici :
La Tribu des Si'Olonil (les "falconidés" en gros) de la région des Lacs est composée de 3 clans voisins mais assez hétérogènes : les pacifiques Elloran ("éperviers pêcheurs") qui tentent de vivre en bonne intelligence avec un peu tout le monde, les nomades Liam'Lon (les "faucons chanteurs", puissants mais dispersé) et les tumultueux Oloden ("crécerelles des rivages"), éleveurs de chevaux et marins techniquement insoumis à l'Empire (qui s'en fout un peu, y a pas de minerai dans leurs plaines côtières).
Ces deux derniers clans prendront de l'importance dans la suite de la campagne, au fur et à mesure que les PJ se mêleront de la géo-politique locale.
La Tribu des Lewyllen ("corneilles migratrices") n'est pas divisée en clans mais en caravanes qui parcourent le Pays des Vents (et même au delà, on en trouve jusque dans al zone nord de l'Empire) pour commercer (des tas de trucs, mais notamment des chevaux et des géants) et colporter les nouvelles. Ce sont les seuls qui tirent un certain profit de la présence impériale et ça ne plaît pas toujours à leurs frères.
La Tribu des Arkonnelkan ("condors") est la plus nombreuse et la plus belliqueuse, la seule qui soit réellement sédentaire et en guerre ouverte avec l'occupant depuis le haut massif appelé "Montagnes des Épées" qui forme une péninsule, fermée à l'ouest par une ligne compacte de fortins impériaux et au sud par l'Empire lui-même (et plus précisément le duché d'Orsane, dont le Duc est techniquement Gouverneur des Marches du Nord : s'il n'y avait ces imprenables montagnes peuplés de barbares sanguinaires entre les Marches et sont duché, la conquête serait bouclée depuis longtemps). Évidemment, les Arkonnelkan aurait bien besoin d'un embrasement général des tribus emishen pour se "désenclaver".
Les Kormes ("les défunts") ne forment pas (encore) une tribu mais une kyrielle de petites bandes qui, en rupture avec leurs clans d'origine, prennent le nom de leurs sites funéraires. Bien qu'ils représentent un danger constant pour les colons rémans, ils ne menaçaient pas vraiment la stabilité des Marches tant qu'ils étaient divisés. Mais depuis peu leur héros "Lashdan" a entrepris d'unifier les Kormes pour reconquérir le territoire en commençant par son maillon le plus faible, la Marche des Lacs, et donc l'avant-poste impérial le plus avancé : Tal Endhil.
Cette conquête est aussi, à bien des égards, un "galop d'essai" pour l'armée des Défunts qui s'essaye pour la première fois aux batailles rangées, à la stratégie d'envergure et aux armes "modernes". Heureusement pour eux, des emishen beaucoup plus expérimentés en la matière ont décidé de leur filer un coup de main...