Il est difficile d’être un dieu
Arkabdi & Boris Stougatski
A Arkanar, le temps est venu à la fermeture des portes de l’effort. Le ministre de la Sureté a décidé que les savants, poètes, médecins et autres astrologues n’étaient pas souhaités. Tous ceux qui n’ont pas réussi à fuir le pays sont capturés, torturés et soit ils abjurent leurs travaux, comme ce poète devenu chantre du roi et du régime actuel, soit ils disparaissent.
A Arkanar, un noble du nom de Roumata, meilleure lame du royaume, dit-on, mène une vie dissolue tout en semblant s’intéresser à ces savants. Et pour cause, Roumata est, en réalité, Anton, un historien terrien, russe pour être précis, qui est là en qualité d’observateur. Car, dans ce livre, les terriens sont devenus des humanistes qui se livrent à l’étude de l’évolution d’autres société, sans intervenir ou à la lisière, pour qu’ils puissent se développer normalement et atteindre, eux aussi, un niveau culturel leur permettant de devenir les égaux des terriens. Anton assiste, ainsi, à la montée en puissance d’un régime totalitaire, s’interrogeant constamment sur son statut et sur ce qu’il conviendrait de faire.
La notion du bien et du mal est au cœur de ce livre, donc, notion sociétale en l’espèce. Doit-on laisser une société occulter ses avancées scientifiques et humaines ? Faut-il remettre en cause la politique d’observation et, au contraire, intervenir ? Ou faut-il se soumettre à cette stricte neutralité ? Sauver les savants à n’importe quel prix ?
Il m’est difficile de ne pas voir, dans ce livre, à la fois une tragédie (le livre me semble écrit comme une possible pièce de théâtre, avec, finalement, assez peu de lieux et beaucoup d’échanges entre les personnages) et une critique des systèmes autoritaires dont le principal point d’appui est la destruction de la culture. Placer la croyance idéalisée comme alpha et oméga de tout pour que le peuple se soumette, car ce qui compte le plus, pour lui, c’est la possibilité de continuer à vivre ou à survivre, le changement de maitre et de méthode d’exploitation important peu, finalement. On s’habitue à tout, même si c’est difficile. Contrairement au livre précédent que j’ai lu des frères Stougatski, celui-ci ne contient aucun historique de la publication. Je ne sais si ce livre a pu être publié dans l’URSS et s’il a pu être diffusé, tant la critique me semble aussi concerner le système communiste.
Quand on fait le parallèle avec la Chine Maoïste ou l’URSS pré Glasnost, les critiques sont claires et acerbes. Le poète, le seul vivant, écrit des vers misérables mais valorisants pour la Nation et pour le Royaume. Comment ne pas entendre, là, une critique des modalités de publication qu’ont connu tant d’auteurs russes et qui est esquissé dans le Maitre et Marguerite ?
La SF est légère, car on ne sait réellement où l’on se trouve exactement, pendant tout le livre, le merveilleux provenant de quelques éléments technologiques dans un univers futuriste. De ce fait, le livre n’a pas vieilli et sa qualité est entière, des décennies après son écriture. C’est également, pour moi, un livre contemporain, qui retrace avec clarté la façon dont on peut se désintéresser de la politique pour se retrouver, rapidement, avec une éradication des penseurs pour permettre au fascisme de prendre sa place.
Un livre différent mais intéressant qui traite de la différence de niveaux technologiques et de la difficulté de n'être qu'un spectateur dans un univers qui finit, nécessairement, par nous concerner et nous parler.
Livres lus cette année :