C'est bien le problème de la "magie" qui se heurte à un monde "normal". Peut-on, vraiment imaginer, si on l'assimile à une forme de technologie, qu'une société ne l'utilise pas au mieux?
Même s'il n'y a qu'un prêtre, sur un million de citoyens, capable de lancer un sort de résurrection, si cette magie est accessible, est-il concevable que les familles importantes (nobles, riches marchands, guildes etc) ne fassent pas tout pour en bénéficier? Et si on peut ressusciter tout un chacun, quel roi, quel empereur, quel sorcier, quel chef de guilde ne le ferait pas?
Pourquoi apprendre la médecine si quelques prières font repousser bras et jambes amputés? Quelle personne d'importance sortirait de chez elle sans son "soigneur" attitré? Pas les gueux, évidemment, mais la caste dominante. Et encore, on finirait par créer les conditions d'une révolution (imaginez les gens voyant mourir leurs enfants sans que le nobliau local ne bouge tandis qu'un prêtre soigne sa moindre hémorroïde?)
Bien sûr, on peut adapter son univers à la magie, mais il est évident que cela change en profondeur toute la société. Déjà, l'apparition de la poudre a chamboulé l'architecture, la guerre et modifié toute l'organisation sociale, alors des boules de feu, des sorts d'invisibilité, des invocations de démons ou de dragons... bah... ça fait un gros boulot d'équilibrage.
Pourquoi des châteaux-forts? Pourquoi des fantassins armés de lances alignés sur un champ de bataille quand une pluie d'éclairs peut les annihiler? Pourquoi ne pas voyager à dos de créature volante plutôt que de prendre son carrosse? Pourquoi cultiver la terre et se battre pour un lopin fertile si les dieux peuvent nourrir tout le monde avec la Manne Céleste?
Pour gérer les combats d'armée à D&D, j'ai longtemps utilisé les règles "Horde of the Things" (un dérivé fantastique du wargame antique et médiéval DBA). Dans sa préface, l'auteur assumait le parti-pris d'un bas niveau de "Fantasy", contrairement à certains autres wargames et leurs hordes de nains-zombies-ninjas du chaos balayant tout sur leur passage et limitant la partie tactique au strict minimum. Mais pour ça, il fallait admettre que la magie soit rare, et rare parce que dangereuse et instable. Sur le champ de bataille, on pouvait invoquer divinités et dragons, mais ces créatures étaient peu fiables et pouvaient décider de partir à tout moment (ce qui mettait l'armée les employant en mauvaise situation, vu leur coût) et les sorciers pouvaient être contrés par les prêtres et les paladins (dont l'aura dissipait la magie). Donc, employer dragons ou magiciens pouvait influer sur l'issue d'une bataille, mais comportait de sacrés risques. On se retrouvait au final avec un wargame médiéval et des morceaux de Fantasy dedans. Et très jouable.
J'ai toujours assimilé cette pratique au sort de "téléportation" d'AD&D. Ça marche, c'est génial, mais qui est prêt à tenter le 1 ou 2 % de finir intégré dans un mur? On peut tenter le coup une fois, dans l'urgence, mais emmener toute sa famille en vacance sur la Côte d'Azur en sachant que l'un d'eux pourrait ne pas y survivre, on hésitera un peu plus...
On en revient donc, si l'on veut rester dans du médiéval teinté de fantastique (et pas l'inverse), à grandement brider la magie. Ou à la limiter à des endroits bien précis (plans astraux, montagnes reculées, pays magique comme dans Avant Charlemagne).