Calisto a écrit : ↑mer. avr. 24, 2024 8:50 am
Le problème tient plus du changement de paradigme avec ces drones qui pour quelques centaines d'euros peuvent saturer les systèmes de défenses très facilement, ils ont donc aussi une utilité très limités. Leur faible prix permet des attaques multiples, diverses et surtout d'aller chercher les points faibles. J'ai bien plus l'impression que la réflexion du moment tient plus sur l'utilité réelle des chars lourds sur le terrain alors que l'on se rend compte que l'on va faire la guerre de plus en plus loin des lignes de contacts. L'artillerie est responsable de 70 à 80% des pertes dans cette guerre si je me souviens bien et les drones sont quelque part une extension des logiques d'artillerie, une sorte d'artillerie légère derrière les lignes de contacts et devant l'artillerie lourde. Si je devais investir dans une solution ce ne serait pas dans des systèmes de défenses ni dans des chars lourds mais dans les drones eux mêmes et vu la quantité de drones que l'on peut produire pour le prix d'un char Abrams il n'y a pas photo...
La dernière fois que les forces armées ont pensé qu'elles pouvaient se passer des chars lourds, les troupes au sol ont payé un tribut assez important. Mine de rien, 60t de blindage et d'armement lourd c'est utile plus ou moins n'importe où.
Évidemment si on les déploie dans des conditions qui amènent à amplifier leurs points faibles on se retrouve comme en Tchétchénie en 94. Mais les américains sont vite revenus sur leur décision de retirer les M1 au profit d'un châssis plus léger et polyvalent permettant d'avoir sur une même base, une pièce d'artillerie mobile, du mortier lourd, du transport de troupe, du véhicule de combat d'infanterie, du véhicule de commandement et du proto-char (un VCI mais avec un gros canon). Finalement les M1 seront prolongés après les performances sur le terrain en Irak non seulement du M1, mais aussi des autres véhicules.
Donc dire "le char lourd c'est fini" je ne m'y engagerai pas vraiment, c'est arrivé plusieurs fois, ça a toujours été jusque là démenti par les évènements. Maintenant il faut bien comprendre que même si un char est protégé, il n'est pas indestructible et qu'il a plusieurs ennemis sur le champ de bataille et forcément si on ne traite pas cette menace, on en fait une victime. Mais c'est la même chose avec les avions et avec un delta de coût énorme, un chasseur c'est 80M$ en général et les armées n'en ont pas des masses.
Pour l'artillerie dans ce conflit, c'est logique, on parle de la Russie, LE pays de l'artillerie. Médiocre, bête et méchante, mais pléthorique. De l'autre côté on a une artillerie de précision qui permet d'avoir des frappes létales avec peu de moyens. In fine le souci dans ce conflit c'est le manque de contrebatterie côté ukrainien (et sa quasi absence côté russe) du fait du manque de munitions et de moyens de détection. De même, l'absence de supériorité aérienne est un facteur majeur. C'est le premier conflit moderne où l'on voit une absence totale de l'espace aérien par les deux protagonistes et pas parce qu'ils sont trop puissants niveau DA, mais principalement parce que d'un côté on a une petite force aérienne et de l'autre, une force aérienne extrêmement médiocre tant en qualité des équipements que des équipages et du commandement.
Parce que dans ce cas ladite artillerie est vite réduite au silence que ce soit par des frappes aériennes ou de contrebatterie.
Les drones ont une sacrée utilité:
_ ils sont bons pour la reconnaissance car sacrifiables mais aussi bien plus furtifs tout en ayant une palette d'équipement quasiment équivalente à un véhicule plus lourd.
_ ils sont bons pour les frappes opportunistes sur certaines cibles à courte portée (un drone léger c'est une dizaine de kilomètres) et n'étant pas trop blindés. Rappelons que les destructions de blindés sont principalement des mobility kills (dommages qui immobilisent le char) qui ensuite amènent à une véritable destruction soit par frappe d'artillerie, soit par pilonnage de drones.
_ ils peuvent être déployés en essaim pour des frappes de saturation ouvrant la voie à des systèmes plus performants. Si le drone touche, tant mieux, s'il est intercepté, pas grave il a rempli son rôle de saturation et de consommation des défenses antiaériennes.
Maintenant il faut voir qu'ils sont limités:
_ les drones sont faciles à brouiller et à intercepter. Parce qu'ils sont pas chers, ils ne disposent pas des équipements les plus efficaces pour résister au brouillage qu'il soit de zone ou à faisceau dirigé (ce dernier est redoutable contre eux). Leur vitesse les rend faciles à intercepter pour les systèmes de défense.
_ Leur portée rend leur efficacité limitée. Je fais la différence entre un drone et un missile low cost. Les Shahed sont des missiles low cost car ils vont d'un point A à B sans aucun guidage intermittent humain. Un drone guidé, c'est sauf exception un appareil limité en portée. Il y a des drones plus grands et plus capables, mais ils se sont révélés logiquement plus vulnérables aux défenses parce que plus gros, plus bruyants, plus visibles dans le secteur IR (propulseur thermique).
_ Les systèmes de défense à faible coût d'usage arrivent. Il y a déjà les RCWS, des canons téléopérés avec capacité d'engagement autonomes via des logiciels "IA" de reconnaissance de forme via des capteurs optronique (voie TV "jour", amplification de lumière), les laser qui débarquent de plus en plus avec des coûts opérationnels inférieurs à celui des armes à munitions, un obus de 40mm c'est 800€, un tir laser portant deux fois plus loin c'est entre 2 et 10€...
Nous sommes dans une phase de transition qui a commencé au milieu des années 2010 et qui a littéralement explosé à partir de 2022. Maintenant il va falloir analyser tous les RETEX et réagir et agir en conséquence, sans pour autant changer totalement les choses. Les américains pensaient avec l'arrivée des missiles que les canons étaient inutiles sur les avions. Quand leurs F-4 Phantoms ont commencé à se faire descendre par des MiG-17/19 qui disposaient de missiles mais surtout de faking canons de 23 ou 30mm quand il n'y avait plus de missiles et qu'ils avaient foiré (comme souvent au début) avec l'installation en urgence du désormais universel M61 Vulcan. Donc il serait un peu prématuré de dire que tel ou tel système est bon pour la réforme. Par exemple, le conflit a surtout montré que les hélicoptères de combat russes étaient très vulnérables, plus encore que les chars, au point qu'on en a pour dire "l'hélicoptère c'est fini!".