Le week-end fut surchargé, je suis donc à la bourre. Voici la suite, mais pas encore la fin de la troisième partie
L'exaltation sur le fil du rasoir (3a/3)
Ajouter de nouvelles cartes d’exaltation est une opération délicate : elle implique le risque de remettre en question différents équilibres. Mais avant d’étudier les différentes pistes pour les nerfer ou les diversifier, j’aimerai faire un détour par le plus grand fournisseur de cartes d’exaltation du jeu, à savoir
les cartes de persécution !
Jay McInerney a écrit :"On a beau être paranoïaque, on n'en est pas moins persécuté !"
Le mécanisme de cartes d’Oltréé, plein de ruse et de malice, se dévoile au cours de la première partie. Tel un dealer, le MJ fournit à ses joueurs des cartes d’action puissantes. Au fur et à mesure de la partie, les joueurs s’amusent avec elles, les dépensent pour obtenir des coups d’éclat, annulent des attaques adverses, ou réussissent des sauvegardes comme par magie.
Puis, l’excitation de la découverte passée, le manque fait son apparition autour de la table. Les effets spéciaux ont fait leur malle, les monstres refont mal, les dangers redeviennent mortels.
C’est là que les cartes de persécution entrent en action. Pour réalimenter sa main en cartes positives, il va falloir passer à la casserole. Et voici venir les persécutions, ces cartes contenant toutes les maladresses, catastrophes et étourderies, absentes du mécanisme central de résolution (1). Mais la tentation ne s’arrête pas là : les persécutions permettent également à tous les joueurs du groupe d’acquérir des exaltations adaptées à leur personnages, puisque le gaffeur va en conserver une et donner l’autre au joueur de son choix. Ainsi, après s’être mis dans la panade - ou carrément après avoir entraîné le groupe dans ses tribulations - le joueur mi-fripon mi-farceur se fait pardonner. L’idée est savoureuse, et le résultat final, quand il est bien amené, est souvent rocambolesque !
Il y a là une jolie synergie entre héritiers et pèlerins, les premiers récupérant des cartes grâce aux seconds. Ceux-ci survivant à l’aide des premiers.
C’est AMA l’un des principes les plus intéressants du jeu.
Malheureusement, le déroulement que je viens de décrire, ne s’obtient pas à tous les coups. La machine peut se gripper à plusieurs endroits. Nous allons voir comment, puis tenter de trouver les moyens d’y remédier. Mais surtout, il ne faut pas prendre tout ce qui suit pour des vacheries gratuites. Ce ne sont qu'une série de méthodes à doser au cas par cas.
QUAND LES EXALTATIONS NE SONT PAS UTILISÉES
Le premier problème vient des cartes d’exaltation. Si les joueurs ne les utilisent pas, s’ils pensent en avoir assez, s’ils ont trouvé d’autres moyens d’en récupérer, les persécutions sont rarement utilisées.
Il n’y a pas 36 moyens : il va falloir augmenter la dangerosité des scènes. Lorsqu’ils tirent une
péripétie en patrouille, elle ne doit pas être de tout repos. Un
obstacle ? Ca doit chauffer. Vraiment. Ils risquent de perdre un point de ressource, donc un combat s’ils se débrouillent mal. Ou une corde abandonnée au dessus d’un gouffre (ou tout autre objet bon marché adapté à la situation). Un
danger ? Leur sang doit se glacer dans leurs veines (« menace sérieuse pour le groupe »), au point de risquer au minimum un blessé. Un
péril ? S’ils n’ont pas déjà pris leurs jambes à leurs trousses, c’est qu’ils ne peuvent pas faire autrement, coincés au fond d'une impasse. Ou qu'ils sont encore innocents, et qu'il faut leur ouvrir radicalement les yeux.
Il ne faut pas oublier que les règles les rendent immortels : ils ne risquent absolument rien.
Mais que faire
si on ne veut pas ajouter un piège ou une liche derrière chaque buisson, comme le disait si bien Zeben ? A moins de
jouer à fond les règles de combat, il faut penser exploration, pas promenade. Se rappeler que le plus grand tueur d’hommes est le
moustique, pas le
requin.
Penser danger caché, insoupçonné. Il faut qu’ils en chient pour être fiers de leur périple, pour mériter les égards des communautés où ils vont arriver pour la première fois. Ce sont des patrouilleurs, pas des touristes : ils explorent les Terres Sauvages bon sang, ils ne se refont pas le GR20 ! (2)
Lorsqu'ils piochent une carte de patrouille, s'ils tirent un obstacle ou un danger et qu'ils décrivent une campagne bucolique ? Ne rien dire, les laisser s’avancer confiants, et penser
plantes toxiques ou vénéneuses en ouvrant le grand livre à la page des poisons (p.18). Ou après une pluie ou en terrain humide, penser flaques saumâtres, piqûres et maladies (glf p.18). Dans ces conditions, s'il y a un blessé ? Pensez gangrène et amputation (glf p.18) : ce dernier mot fait perdre sa superbe à n'importe qui.
Penser chutes de pierres en terrain montagneux, avalanches en hiver,
coulées de boue en zone aride, ou encore glissement de terrain. Penser aven, crevasse, gouffre, précipice, ravin, sables mouvants, torrent (voir difficultés de repérage des pièges glf p.19), puis se souvenir que les chutes et des noyades ne comptent pas pour des prunes (glf p.17).
Le soir, s'ils ont pris par dessus la jambe l'établissement de leur
bivouac, penser serpents dans leurs bottes, scorpions dans leur armure, nid de frelons hystériques au dessus du camp, ou scolopendre dans le conduit auditif au réveil. Ou si vous êtes de bonne humeur, fatigue générale pour tout le monde après avoir passé une nuit trempé jusqu'aux os, ou en ayant dormi sur des caillasses, et donc état Affaibli pour la journée.
Faire autant appel à ces règles qu’à celles du combat. Au point de les connaître autant les unes que les autres.
Et ne surtout pas remettre à plus tard. Une fois qu’ils auront monté leurs sauvegardes (gains en Vocation, métier Patrouilleur), le 16+ ne leur fera plus autant peur (3).
Ne pas oublier également, que les exaltations permettent de relancer les dés. Sans forcément multiplier les jets (autant jouer au yams), en augmentant les
difficultés, on obtient des échecs, et potentiellement des relances. Les difficultés supérieures (19+, 22+, 28+), si elles sont à réserver aux tests les plus dangereux comme conseillé par les règles (glf p.12), ne doivent pas pour autant être rares.
Mais que faire quand ils sont au cœur d’une
communauté ? Même s’il est plus délicat de leur faire perdre des cartes (heureusement, ce sont des havres en théorie), il est toujours possible d’y parvenir. Il faut trouver des raisons pour leur faire lancer les dés, relancer les échecs grâce aux cartes, et sans forcément rendre la communauté dangereuse.
Par exemple : le soir les rendre saouls lors d’une fête donnée en leur honneur (« vous allez pas vexer le chef en refusant de boire, non ? ») puis appliquer les conséquences le lendemain (glf p.27). En état affaibli ils feront moins les malins quand les jeunes costauds du village les provoqueront à l’empiffre aux tantimolles, au lancer de gorlion, aux mules aux talons, et pour finir, au grimper de la Borduche !
Ainsi, en jouant sur leur fierté, on obtient crises de rire et cartes qui volent.
Un autre problème peut être celui des
autres sources de cartes d’exaltation, que ce soit à l’aide de certains métiers ou rôles. A moins d’interdire ou de nerfer ces pouvoirs au risque de se priver d’une source d’amusement (nous y reviendrons), il faut réagir face à cet afflux de cartes, en créant des situations où leur utilisation est incontournable. Et donc à nouveau jouer sur les difficultés et les dangers.
QUAND LES PERSÉCUTIONS SONT INADAPTÉES
Il peut arriver régulièrement que les situations nécessaires à l’utilisation d’une carte ne soient pas réunies. Il nous appartient de conseiller les joueurs en leur rappelant qu’ils peuvent créer de toutes pièces les conditions parfaites pour jouer une persécution, notamment à l’aide des cartes de
patrouille ou des
prouesses.
Il faut parfois leur expliquer qu’une persécution ne se joue pas en la posant sur la table et en appliquant l’effet comme dans un jeu de cartes. C’est au joueur via les actions de son personnage d’amener pas à pas les conditions qui vont rendre amusante ou même désopilante l’utilisation de la carte.
Pour les y pousser, on peut
récompenser le joueur qui «
fait rire ou pleurer toute la table » (glf p.27), en lui accordant une carte supplémentaire (ce qui revient à deux cartes pour lui et une à donner à un autre joueur). Ca pousse tout le monde à jouer les persécutions de la manière la plus cocasse possible, au lieu de chercher à minimiser la contrainte.
Parfois, notamment avec les débutants, il faut faire preuve d’un peu de souplesse et laisser passer une persécution qui n’est pas adaptée. Quitte à faire un court
flashback pour rendre l’utilisation crédible.
Exemple : si loin de toute gargote au petit matin, un joueur joue « Tout a commencé avec une petite bière », on peut décrire un flashback de nuit où le patrouilleur a fauché de l’alcool dans les réserves. Sans oublier de retirer une ou deux ressources utiles du pot central : rien n’est gratuit en ce bas monde…
Malgré tout, même si ça grippe la machine, il ne faut pas laisser passer l’utilisation d’une persécution sans réagir. Petite
house rule : si la carte ne désavantage pas suffisamment le personnage, il suffit de la considérer comme une carte
grogne :
« elle ne rapporte qu’une seule carte d’exaltation à donner obligatoirement à un autre patrouilleur » (com p.27). Comme d’habitude, le joueur piochera une nouvelle persécution. Au final il n’a pas tout perdu puisqu’il a recyclé une carte qui ne l’inspirait pas.
Par exemple quand un joueur joue « J’ai un gros matou coincé dans la gorge » avant de négocier, et qu’au final ce sont ses compagnons qui s’y collent sans que cela ait un quelconque impact, il ne faut pas hésiter à couper la poire en deux.
QUAND LES PERSÉCUTIONS FONT TROP MAL
Une persécution doit fournir une péripétie, une surprise, une scénette amusante. Elle peut éventuellement provoquer un effet boule de neige s’avérant complètement catastrophique pour la patrouille, mais per se elle ne doit pas mettre trop à mal un patrouilleur.
Le risque en étant trop sévère, est de couper toute envie au joueur de s’infliger des persécutions. Tout est affaire d’équilibre, comme d’habitude.
Exemple : la carte « Je suis sûr que je ne risque rien. Bougez pas les gars, je reviens » permet de se lâcher en plongeant le personnage dans les pires emmerdements. Accroché dans le vide au dessus d’une fosse à fauves, enlevé par des sauvages, saucissonné par un minotaure anthropophage, bastonné par des ruffians, ou hurlant avec des scorpions accrochés aux miches : tout est possible quand on a les chausses sur les mollets.
Pour autant, même si le personnage ne peut qu’attendre l’aide de ses compagnons, il ne sert à rien d’abuser de la situation.
A moins bien sur, que les autres patrouilleurs aient pris la poudre d’escampette.
QUAND ON NE SAIT PAS TROP OÙ ILS EN SONT
Ce qui suit est une technique et non une règle maison. Elle m’est utile pour soupeser une partie de la puissance des PJ sans rentrer dans les détails, et donc d’évaluer la quantité approximative de bâtons que je dois leur mettre dans les roues au cours de leur objectif actuel.
En début de séance, alors qu’ils choisissent leur objectif à venir, je note sur ma feuille de référence de MJ (à côté des CA et autres Perceptions passives) le nombre total de cartes d’exaltation que les joueurs possèdent à eux tous.
A ça j’ajoute encore le nombre de cartes gagnées à l’aide des différents pouvoirs.
Mon objectif à moi est de leur faire défausser ce nombre de cartes au cours de la première moitié de leur objectif (environ deux heures de jeu). Le but est qu’ils tournent uniquement avec les cartes gagnées grâce aux persécutions au cours de la seconde moitié (deux heures de plus). C’est là que tout est plus tendu, que chaque paire d'exaltations correspond à une persécution jouée, donc que le jeu devient des plus intéressants.
Au niveau des combats, en divisant le total d’exaltations restantes par deux, j’obtiens le nombre d’attaques et de sauvegardes qu’ils pourront contrer. Cela me permet d’évaluer
à la louche la puissance des adversaires que je dois leur opposer. Même si je respecte le niveau de péripétie (obstacle, danger, péril), la règle est assez souple pour s'adapter.
Si à la fin du combat, je ne suis pas parvenu à leur faire défausser suffisamment de cartes pour être dans les temps, j’augmente la puissance de l’opposition lors de l’affrontement suivant. Et ainsi de suite.
A moins d’une débrouillardise bluffante, si je ne suis pas parvenu à leur faire jouer/défausser ce nombre de cartes avant la fin de la séance (ou tranche de 4 heures), je considère que l’objectif est trop facile, et donc je fais grimper les enjeux pour justifier qu'ils n'ont pas atteint leurs buts : retournement de situation, cliffhanger terrible, le méchant n’était pas mort, les dieux sont en colère, et belle-maman squatte le fortin. Ils vont devoir remettre le couvert au cours d’une autre séance avant de grimper de niveau.
La séance suivante (ou nouvelle tranche de quatre heures) continue avec la même main de cartes (+1 chacun puisqu'on passe à une nouvelle tranche de 4 heures : glf p.27). Pas question de repartir à neuf. A moins qu’ils ne décident de changer de cycle (com p.142), ce qui équivaut à un repos long au fortin (grosso modo une semaine) sans montée de niveau (contrairement à DdP²), et donc au fait que les chroniques des factions avancent.
S’ils parviennent finalement à atteindre leur objectif au cours de cette deuxième séance, tout va bien. Au cours de mes parties, chaque deuxième séance à vide ils en ont sué à chaque fois, le jeu tourne donc parfaitement (4).
S’ils n’ont toujours pas atteint leur but, ils ont tendance à réfléchir à deux fois avant de se lancer dans une troisième séance sans se « rafraîchir ». Ils peuvent décider de changer de cycle avec les problèmes que cela entraîne.
Ou de jouer aux kékos à leurs risques et périls…
- (1) Bien que j’apprécie tout particulièrement les éclats de rire dans les bonnes parties, j’ai malheureusement trop vu de « fumbles » navrants, pitreries au lieu de péripéties, où le premier perdant est le joueur ayant manque de chance aux dés, et dont le concept de personnage est ridiculisé par toute une bande de potes rigolards. Le second perdant étant l’histoire qui prend des airs de bouffonnerie au lieu de grande aventure.
Dans Oltréé, tout cela est bel et bien fini. Le joueur qui ne veut pas être le clown de la soirée, se crée un héritier, point final. Il aura la compétence, l’efficacité, au prix du sens de l’adaptation, et des multiples coups de chance.
Quand à celui qui aime surprendre, faire rire la galerie, jouer au trublion, il choisira lui-même les scènes où la déveine vient frapper à la porte.
Oltréé a su ainsi me fournir une série de fous rires, parmi les meilleurs de ma vie de rôliste. Sans que ce soit aux dépens d’un joueur, mais grâce à lui, et ça ça change tout.
- (2) Rien de pire qu’un sentiment de terre conquise sans avoir couru le moindre danger.
Il faut penser également aux PNJ qui restent cloîtrés dans les communautés. S’il n’y a aucun danger à traverser les terres sauvages, qu’est-ce qui justifie leur isolement ? Au final les PNJ finissent par passer pour des couards aux yeux des PJ, ce qui ne rend pas justice ni au bac à sable, ni au côté survivaliste d’Oltréé.
- (3) C’est sans doute l’un des points qui m’a le plus posé problème : 16+ pour réussir n’importe quelle sauvegarde, c’était chaud pour mes joueurs lors des premiers séances (les cartes volaient), puis ça devenait une rigolade à partir d’un niveau moyen (le patrouilleur nerfé est badass ^^).
Dans un premier temps j’ai ajouté une caractéristique virulence à chaque maladie et poison en plus de la puissance (jet de sauvegarde à 16+, 22+, ou 28+).
Dans un deuxième temps je suis passé à quelque chose de plus simple : selon la situation, la difficulté du jet de sauvegarde est différent.
Un seul moustique ? Peu de dégâts d’une arme empoisonnée ? Difficulté 16+. Plusieurs piqûres ? Dégâts importants ? Difficulté 22+
Couvert de piqûres ? Plus que quelques pv ? Difficulté 28+
Ca maintient la pression quelque soit le niveau. Et les cartes volent toujours à chaque jet collectif.
- (4) Pour une version Oltréé gritty, un style chair et sang, conquistadores, c'est par là que j'orienterai mes recherches. Les PJ démarrent avec 1/2/3 exaltations en démarrant un cycle dans un havre (fortin ou alliés ; 0/1/2 en partant d'ailleurs), plus leurs persécutions (0/1/2). Ce sont elles qui vont leur permettre de gagner des exaltations, ainsi que les différentes récompenses et capacités en cours de jeu. Le score en exaltation habituel (2/4/6) étant le maximum de cartes de ce type qu'un joueur peut garder en main. En cas de dépassement, le joueur ne peut plus obtenir d'effets majeurs de ses cartes. Il doit jouer les cartes en trop en effet générique (ou les défausser), avant de pouvoir jouer à nouveau les effets spécifiques de sa main. Les trésors permettent de piocher des cartes (2 points la carte; comme le point de chance à DdP²).
Le jeu est dur dès le départ. Et les joueurs démarrent en mode prudent.
Mais on sort du cadre de cette discussion.
[/size]