[Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1931

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Léonard
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[Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1931

Message par Léonard »

Il y a quelques mois, j'ai acheté Après l'accident - journal d'une rescapée de Nicolas @Gulix Ronvel. Ça faisait quelques temps que j'entendais parler de jeu de rôle solo et j'avais du mal à saisir ce que ça pouvait donner. J'espérais au moins en apprendre un peu plus sur le sujet en lisant Après l'accident.
Finalement, j'ai trouvé le jeu très inspirant à la lecture, et j'ai eu envie de m'y lancer. Mais comme il propose de raconter une histoire se déroulant sur une vingtaine de jours sous la forme d'un journal, j'ai choisi de tenter ça en temps réel : tirer une carte par jour et raconter une journée de mon personnage, chaque jour pendant trois semaines. Du coup, j'ai préféré attendre les vacances d'été pour être vraiment disponible.

Comme j'adore les histoires d'aviation d'avant-guerre, j'ai choisi le cadre Aéropostale. Et le choix de Gulix d'écrire le jeu au féminin m'a incité à créer le personnage d'une pilote, vaguement inspirée par Amelia Earhart et Adrienne Bolland (sur la photo ci-dessous).

Image

J'en suis à peu près à la moitié de mon journal. Sans y trouver tout à fait le plaisir du jeu de rôle, car il manque les interactions sociales avec les autres joueurs, je trouve que c'est un exercice d'écriture très stimulant. C'est vraiment agréable de se lancer dans l'histoire sans savoir où elle va mener, en se laissant guider par le tirage des cartes. Il faut dire que les tables aléatoires proposées par Gulix donnent de très bonnes amorces, et le système de pistes qui permet de suivre des arcs narratifs est très malin.

J'ai décidé de mettre en ligne mon compte-rendu en trois actes, en respectant le structure définie dans Après l'accident. Le premier acte maintenant, les deux autres dans quelques jours.
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1931

Message par Léonard »

Acte I : Les premiers jours

7 juillet 1931
Je m’appelle Céleste Vergnot. Peut-être me connaissez-vous comme « la Fille de l’Aéropostale ». Ou peut-être pas. J’effectuais la liaison Buenos Aires – Asunción lorsque mon appareil a été victime d’une panne moteur. N’ayant pas trouvé de terrain dégagé pour un atterrissage d’urgence, je n’ai pu éviter l’accident. L’avion s’est brisé en deux en atteignant la frondaison. J’ai une épaule démise, mais je crois pouvoir marcher. En suivant la direction de l’ouest, j’espère rejoindre le Rio Paraná et trouver de l’aide.
Je n’ai pas peur. J’ai bien l’intention de sortir de cette forêt et de faire mentir ceux qui considèrent que ma place n’est pas aux commandes d’un Nieuport-Delage de l’Aéropostale.
J’écris ces lignes dans le cas où n’y parviendrais pas.

8 juillet
Je progresse lentement. Mon épaule me fait souffrir et la tête me tourne fréquemment. Au point que tout à l’heure, assise sur une souche en attendant de retrouver l’équilibre, j’ai cru que j’étais revenue dans notre maison de Saint-Maur-les-Fossés, lorsque j’étais enfant et que mon père, installé à côté de moi sur la balancelle, nous faisait « voler » en nous propulsant de toutes forces avec ses jambes. J’ai été prise d’un fou-rire de petite fille que j’ai dû interrompre bien vite car il ravivait la douleur dans mon épaule.

9 juillet
Quelle idiote ! J’ai perdu la sacoche de courrier que j’avais emportée avec moi. J’y avais fourré une liasse de lettres récupérées au hasard dans la carcasse de mon avion, afin que mon vol n’ait pas été totalement inutile. Et voilà que la sacoche a disparu. Peut-être l’ai-je oubliée après une halte. Peut-être la lanière a-t-elle rompu sans que j’y prenne garde.
J’ai essayé de revenir sur mes pas, mais impossible de retrouver mon chemin. Comme si la forêt avait déjà absorbé toute trace de mon passage. Cela m’a rendue folle de rage ! Je me suis injuriée à pleins poumons, j’ai frappé vainement les arbres, j’ai chuté plusieurs fois dans les sous-bois boueux. Une journée dépensée en pure perte.
Tant pis pour le courrier. J’ai installé mon bivouac. Demain matin, je reprendrai la direction de l’ouest. 
10 juillet
J’ai bénéficié d’une bonne nuit de sommeil. Hier soir, j’ai trouvé un arbre avec deux branches maîtresses formant une fourche à ma hauteur. J’ai réussi à m’y faire un genre de hamac avec ma couverture et à m’y installer dans une position qui ne faisait pas souffrir mon épaule. Là, il me semblait (peut-être me leurrais-je ?) que j’étais à l’abri des bêtes sauvages. Et doucement bercée par la brise nocturne, j’ai dormi d’une traite jusqu’au lever du soleil. Je me sens en grande forme pour reprendre ma marche.

11 juillet
Difficile d’évaluer où je me trouve et combien de kilomètres j’ai parcourus depuis que j’ai quitté le lieu de l’accident, car je n’ai aucun repère dans cette forêt. Toutefois, j’ai le sentiment d’avoir bien progressé ces deux derniers jours.
Je me suis souvenue de nos vacances dans le Vercors et des randonnées interminables dans lesquelles mon père nous entraînait. J’ai repensé à ma mère qui, à chaque fois que je me plaignais et exigeais que nous fassions demi-tour, me montrait un léger col, une crête ou un bosquet devant nous. Tout aussi épuisée que moi, elle me demandait simplement : « N’as-tu pas envie de savoir ce qu’il y a juste derrière ? » Ce qui avait le don de me faire repartir de l’avant.
Tout au long de cette journée, chaque fois que je me sentais incapable de faire un pas de plus, les jambes flageolantes et les poumons saturés d’humidité, je me suis répété cette question : « N’as-tu pas envie de savoir ce qu’il y a juste derrière ? »

12 juillet
Cher père,
Même si je ne devais pas réchapper à cette mésaventure, je souhaite de tout mon cœur que ces pages se retrouvent entre tes mains un jour. Je veux que tu saches que pas une seule seconde, je ne regrette mon choix de voler et de m’engager dans l’Aéropostale.
Cette vie-là, même courte, vaut le coup. Et c’est à toi que je la dois. Toi qui dès l’enfance m’a donné le goût des chemins à tracer et des risques inconsidérés. Cet héritage n’a pas été effacé par ton revirement récent. Celui-ci était guidé, je le crois maintenant, plus par la peur pour ma sécurité que par un souci pour la réputation de notre famille. Mais sache que j’ai fait le bon choix. Si je m’étais mariée à un homme aimable et avait mené une existence d’épouse modèle, pour respecter ta décision, j’aurais sûrement vécu plus longtemps, mais en regrettant de ne pas être morte à vingt-six ans dans la forêt du Paraguay.

Je relis ces lignes écrites au réveil, dans un moment d’angoisse. Mais je porte assez bien. Mon épaule me fait moins souffrir, j’ai réussir à me nourrir et je ne compte pas mourir aujourd’hui.

13 juillet
J’ai découvert de gros fruits à coque délicieux grâce à un couple d’aras qui s’en régale dans les branches hautes des arbres. J’ai décidé d’en faire provision avant de reprendre mon chemin. Mais impossible de grimper pour les atteindre avec un seul bras valide. Je dois me contenter de ramasser les fruits que les deux oiseaux laissent tomber au sol.
J’ai donc passé la journée à déambuler au-dessous de mes deux aras, en bordure de la clairière qui semble être leur territoire, récoltant les quelques restes qu’ils daignent m’abandonner. Je leur ai beaucoup parlé pour solliciter leur générosité et je crois que cela a eu quelque effet. Si les cris et les ordres impérieux semblaient les rendre plus avares, j’ai obtenu des oboles bien plus nombreuses lorsque je les suppliais d’une voix douce et suave, en minaudant un peu. Somme toute, on a fini par bien s’entendre, tous les trois.
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Erestor
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1927

Message par Erestor »

Je vais pitêt faire une demande bizarre, mais j'aurais aimé, insérée dans la présentation - en balise spoiler par exemple, un peu de technique.

Le CR est top, il donne envie, mais sans connaître le jeu, on a du mal à se rendre compte d'où tu pars grâce au jeu et où tu arrives grâce à ton talent de narrateur.

Hâte de lire la suite en tous les cas.
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Florentbzh
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1927

Message par Florentbzh »

Léonard a écrit : dim. août 06, 2023 10:44 pm
7 juillet 1927
Je m’appelle Céleste Vergnot. Peut-être me connaissez-vous comme « la Fille de l’Aéropostale ». Ou peut-être pas. J’effectuais la liaison Buenos Aires – Asunción 

Je crains qu'il ne faille changer les dates, le premier vol a eu lieu en Janvier 29.
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Gulix
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1927

Message par Gulix »

Merci pour ce Journal, ça fait super plaisir d'en voir de nouveaux !
J'aime beaucoup ce cadre aussi, et j'ai hâte de voir où tout ça mener Céleste.
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1927

Message par Léonard »

Erestor a écrit : dim. août 06, 2023 10:55 pm Je vais pitêt faire une demande bizarre, mais j'aurais aimé, insérée dans la présentation - en balise spoiler par exemple, un peu de technique.

Tu as raison, ça peut se faire. ;)
Mais le fonctionnement technique étant très simple, je vais plutôt l'expliquer ici que dans le récit.

Dans Après l'accident, le seul matériel à utiliser est un jeu de 52 cartes. Avant de commencer l'histoire on se construit un paquet séparé en trois actes de 6 ou 7 cartes : Cœur pour l'acte I, Carreau pour l'acte II et Trèfle pour l'acte III. Les cartes de Pique sont utilisées pour suivre des pistes (je détaillerai ça ultérieurement).
Chaque jour, on tire donc une carte et on lit l'entrée correspondante sur une table aléatoire. Il s'agit d'un texte très court indiquant souvent un événement suivi d'une ou deux questions.

Par exemple, pour le 8 juillet, j'ai tiré le 7 de Cœur, ce qui m'a donné la proposition suivante :
Spoiler:
Racontez ce vieux souvenir qui s'est rappelé à votre mémoire. Qu'est-ce qui a provoqué ce rappel ?

Pour le 9 juillet, j'ai tiré l'As de Cœur :
Spoiler:
Vous êtes revenu sur les traces de l'accident. Que cherchiez-vous ? Comment avez-vous réagi en ne le retrouvant pas ?

C'est au joueur d'interpréter librement ces propositions, sans idée préconçue de la suite de l'histoire.

@Florentbzh : Je croyais que ça commençait plus tôt. OK, je change l'année pour les puristes. ;)

@Gulix : Merci à toi. Et bravo pour ton jeu, c'est un vrai régal à lire et à jouer.
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1931

Message par Erestor »

@Léonard :yes: merci !

EDIT après avoir lu ta signature. :mrgreen:
Dernière modification par Erestor le mar. août 08, 2023 7:32 am, modifié 2 fois.
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1927

Message par Florentbzh »

Léonard a écrit : lun. août 07, 2023 3:36 pm
Erestor a écrit : dim. août 06, 2023 10:55 pm Je vais pitêt faire une demande bizarre, mais j'aurais aimé, insérée dans la présentation - en balise spoiler par exemple, un peu de technique.



@Florentbzh : Je croyais que ça commençait plus tôt. OK, je change l'année pour les puristes. ;)


Euhhh.....le mec pas trop casse-bonbons récidive.....l'Aéropostale a été mise en liquidation judicaire en Mars 31, les dates ne sont pas non plus les bonnes. :lol: :lol:

Chez eux, la mort est un accident de travail 
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1931

Message par Léonard »

@Florentbzh Bon, tant pis pour la date. De toute façon, ce ne sera pas la seule erreur historique du récit (déjà, il n'y a pas eu de pilotes femmes dans l'Aéropostale, je crois).
Mais merci pour l'article.
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1931

Message par Florentbzh »

Il y a toutefois eu la Tigresse au Paraguay, Hilda Ingenohl, maitresse de St Ex, pilote et millionnaire qui n'est pas étrangère à la création du Petit Prince (ce qui est un comble alors que c'était une nazie amie d'Hitler et que l'oeuvre de St Ex a été qualifiée de "meilleure réponse que pouvait avoir une démocratie face à Mein Kampf ")....) cette époque là, elle y est.

Adolf qui ?

La clientèle est super sympa, je trouve
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1931

Message par Léonard »

Acte II : Un endroit mystérieux

14 juillet
Fête nationale. Je ne crois pas que je pourrai assister au bal français de Buenos Aires, ce soir. Et dire que j’avais acheté une nouvelle robe pour
l’occasion !
J’ai découvert un objet en pleine forêt, aujourd’hui. C’est une simple figurine tressée, ornée de plumes et de coquillages. Je ne connais rien aux indiens qui vivent dans cette région, mais il m’a semblé que c’était plutôt un ornement religieux qu’un jouet pour enfant. En tout cas, c’est le premier signe d’une présence humaine que je découvre. Peut-être aurai-je la chance de rencontrer bientôt des autochtones disposés à m’aider ?

15 juillet
Quelle surprise ! J’ai aperçu quelqu’un à travers les arbres, cet après-midi. C’était une indienne, une jeune fille il me semble. Elle portait une robe blanche aux motifs colorés et une sorte de coiffe tressée. Lorsque j’ai croisé son regard, elle paraissait calme, pas du tout effrayée. Pourtant, lorsque je me suis approchée en l’appelant, elle a tourné les talons et a disparu. J’ai eu beau m’époumoner pour demander de l’aide dans mon pauvre espagnol, elle n’est pas revenue.
Je n’ai retrouvé ni ses traces ni aucun sentier, encore moins d’indices d’une implantation humaine aux alentours. Que pouvait faire cette demoiselle seule dans la jungle ? Et pourquoi a-t-elle fui à mon approche ? J’ai l’espoir qu’elle soit allée prévenir ses proches. C’est pourquoi j’ai décidé d’installer mon bivouac et de rester là quelques temps, afin qu’il soit plus facile pour eux de me retrouver.

16 juillet
En explorant les alentours de mon bivouac, j’ai découvert un promontoire rocheux au bord d’une falaise abrupte. De là, je domine une profonde vallée où la brume est si est épaisse qu’elle forme une mer de nuages. La forêt au-dessous est parfaitement invisible et j’ai même du mal à distinguer l’autre versant. J’ai l’impression d’être au bord du monde.
En tout cas, cette faille qui s’étend du nord au sud m’empêche de continuer ma progression rectiligne vers l’ouest. Si je veux garder mon cap, il va me falloir longer la falaise jusqu’à ce que je trouve un passage pour descendre dans la vallée. Mais pour l’instant, je ne m’éloigne pas de l’endroit où j’ai rencontré la jeune indienne, espérant le secours des autochtones. J’ai simplement déplacé mon campement au bord de la falaise et j’ai allumé un feu afin qu’on puisse me repérer de loin.

17 juillet
J’ai découvert au réveil une écuelle près de mon feu de camp. Elle contenait un genre de purée de pommes de terre épicée, ma foi assez succulente. Cela m’a changé des fruits qui constituent ma seule nourriture depuis près d’une semaine, et qui mettent mes entrailles à mal.
Qui m’a apporté ce repas ? Je soupçonne la jeune fille aperçue l’autre jour. Mais cela n’explique toujours pas pourquoi elle se cache à ma vue.
En tout cas, j’ai décidé de rationner ma purée en continuant à manger quelques fruits par ailleurs. De cette façon, elle devrait me durer au moins trois jours.

18 juillet
En longeant la falaise vers le sud, je suis tombée sur un étrange assemblage d’objets disposés sur une pierre plate. Il y avait là plusieurs effigies tressées comme celle que j’avais trouvée la semaine dernière, mais aussi une petite vierge à l’enfant en bois. À cela s’ajoutaient des bougies, une flûte et un genre de petit tambour, ainsi que de minuscules écuelles d’argile contenant des offrandes de nourriture, je suppose.
Si c’est mon inconnue de la forêt qui a constitué cet autel hétéroclite, je subodore que sa présence ici et son refus de se laisser approcher s’expliquent par des raisons religieuses. J’ai décidé de respecter ses croyances et de laisser l’endroit intact, sans plus y revenir. J’ai hésité à emporter une bougie (elle m’aurait été bien utile car la pile de ma lampe électrique donne des signes de faiblesse), mais je me suis abstenue, craignant de commettre un impair.

19 juillet
La nuit dernière, j’ai été réveillée par de la musique : des flûtes et des instruments à percussion, que je peinais à situer, produisaient une boucle de quelques mesures entêtantes. Prudemment, je me suis approchée de la falaise. De l’autre côté de la vallée, j’ai alors entrevu la lumière de dizaines de torches ou de lanternes. C’est de là-bas que provenaient la musique. Au bout d’un moment, je me suis rendue compte que sur mon versant, un peu plus loin à ma gauche, une lueur brillait et une flûte répondait à l’orchestre.
Cette cérémonie m’a remplie d’émotion. Il m’a semblé que tout un village était venu communier avec la jeune fille isolée dans son sanctuaire, afin de la soutenir dans sa solitude. En secret, j’ai pris pour moi une part de l’affection de ces gens.
Je me suis endormie paisiblement. À mon réveil, la musique s’était tue et les lumières avaient disparu.

20 juillet
Bientôt deux semaines que je suis perdue dans cette forêt et que je manque de tout : je suis seule, je ne mange pas à ma faim, je dors à même le sol, enroulée dans une pauvre couverture, je porte la même combinaison de vol mal taillée qui empeste la transpiration et je ne peux pas vraiment me laver. Mais aujourd’hui, j’ai été prise du désir inattendu de m’asseoir confortablement : poser mes fesses sur le coussin d’un fauteuil, sur le siège de mon avion ou même sur une simple chaise, au lieu d’une pierre ou d’un tronc d’arbre. Pouvoir étendre mes jambes et reposer mon dos ankylosé sur un dossier. Je crois que rien ne pourrait me contenter autant !

21 juillet
Je me suis laissé gagner par les idées noires, aujourd’hui. J’ai pensé à mes parents qui, tout là-bas en France, doivent recevoir des informations bien lacunaires (quelques télégrammes de la Compagnie, tout au plus) sur ma disparition.
Ce doute doit être insupportable. Peut-être que ce serait plus facile pour eux de savoir qu’ils peuvent dès à présent porter le deuil de leur fille unique. Je sais que depuis que j’ai commencé à voler, ils envisagent la possibilité que je meure aux commandes de mon avion à tout moment. Et pourtant, je ne sais s’ils se remettraient de cette nouvelle. La santé de père s’est bien dégradée depuis deux ans et je crains qu’il se laisse sombrer définitivement. Quant à ma mère, malgré toute sa force d’âme, comment survivrait-elle à la mort des deux êtres qui lui sont les plus chers ?
Allez, je ne dois pas me laisser abattre. Je dois sortir de cette forêt, et vite !

22 juillet
Je pensais me remettre en route ce matin. Mais des bruits inquiétants m’ont tenue éveillée toute la nuit. Je me suis figuré qu’un jaguar tournait autour de mon bivouac, sans jamais le voir ni reconnaître ses feulements (est-ce que le jaguar feule, d’ailleurs ? Je n’en sais rien).
J’ai donc passé la journée à me tailler un épieu avec une branche. Après avoir obtenu une pointe satisfaisante, je l’ai passée à la flamme pour l’endurcir. Je me suis fait l’effet d’être une femme des cavernes prête à défendre son foyer contre les bêtes sauvages. Je doute cependant que mon instinct préhistorique viendra à mon secours si je dois véritablement faire face au fauve.
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Message par Gulix »

Merci, c'est très chouette (et intriguant !).
Vivement le dernier acte !
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Message par Léonard »

Gulix a écrit : mer. août 16, 2023 2:09 pm Merci, c'est très chouette (et intriguant !).
Vivement le dernier acte !

Merci ! ;)

Un petit retour la mécanique, comme me le demandait @Erestor : ce deuxième acte a été l'occasion pour moi d'introduire des pistes. Il s'agit de thèmes proposés pour certains événements.  Par exemple :
Spoiler:
9 - Sur quelles traces êtes-vous tombées ?
Trois thèmes étaient proposés : Message - Autel - Animal. J'ai choisi le second.

On introduit alors dans le paquet une nouvelle carte (du Pique) qu'on associe à la piste sélectionnée. Ensuite, quand cette carte est tirée, l'événement du jour réintroduit la piste correspondante.
C'est un bon moyen de créer des arcs narratifs, des thèmes qui reviennent au cours du récit. J'ai trouvé ça très inspirant.
 
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1931

Message par Erestor »

C'est toujours aussi bon ! :yes:
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Re: [Après l’accident] Journal de Céleste Vergnot, pilote de l’Aéropostale, 1931

Message par Léonard »

Acte III : Tout s’emballe

23 juillet
J’ai refait mon paquetage et je m’apprête à reprendre mon chemin. Je longerai la falaise vers le sud, je verrai bien où cela me mènera.
J’emporte mon nouvel épieu qui me servira de bâton de marche. J’ai vidé mon sac de tout ce qui me semblait superflu et j’ai laissé, bien en évidence sur une pierre, mon poudrier, comme un modeste cadeau pour la jeune indienne de la forêt.
Je regrette de ne pas l’avoir revue, de ne pas avoir échangé quelques mots avec elle. Je ne saurai pas pourquoi elle s’est isolée de tout être humain. Sans doute un rite initiatique ou un vœu de solitude ? En tout cas, je ne lui garde aucune rancune de ne pas m’avoir apporté plus d’aide qu’une écuelle de purée.

24 juillet
Enfin un espoir ! Je suis folle d’excitation ! Ce matin, à l’aube, j’ai aperçu au loin des signaux lumineux intermittents. Ils provenaient du sud-ouest et paraissaient constituer un message en morse. Mal réveillée, j’ai mis du temps à l’interpréter. Je n’ai reconnu que les dernières lettres : E-S-T-E.
Pour moi, ça n’a pas fait de doute : quelqu’un écrivait mon prénom ! J’aurais voulu y répondre, mais comme une idiote, j’ai laissé mon poudrier hier et je n’ai aucun miroir pour refléter les rayons du soleil.
J’ai remballé mes affaires au plus vite pour me diriger vers l’endroit d’où provenaient les signaux. Je crois qu’il se situait de l’autre côté de la vallée. Si je n’arrive pas à le rejoindre, je veux au moins pouvoir m’en approcher au plus près.

25 juillet
Le plateau où je me trouvais a laissé place à un terrain beaucoup plus accidenté et ma progression au-dessus de la vallée est lente et périlleuse. Pour ne pas me déporter vers la forêt et perdre de vue l’autre versant (j’espère voir les signaux lumineux se répéter), il me faut marcher le long du précipice, parfois le long d’une corniche où je ne peux même pas poser mes deux pieds l’un à côté de l’autre. Pour corser l’affaire, des bourrasques de vent balaient parfois le flanc de la montagne, m’obligeant à m’agripper à la paroi pour ne pas perdre l’équilibre.
Enfin, je me dis que je suis toujours moins haut que lorsque je pilote mon zinc. On se rassure comme on peut !

27 juillet
Un orage s’est abattu sur la vallée hier matin et a duré toute la journée. Recroquevillée sur un éperon rocheux, sous ma couverture détrempée, je me suis bien vite retrouvée glacée jusqu’aux os. Je n’ai même pas écrire dans ce journal, qui se serait immédiatement transformé en pâte à papier si je l’avais sorti de ma sacoche.
Bien que la pluie ait cessé, j’ai continué à grelotter toute la nuit. À présent, j’attends que le soleil sorte à l’horizon et vienne me sécher, mais aussi qu’il rende les rochers moins glissants pour que je puisse reprendre ma route. Je me demande ce que ce maudit pays me réserve encore.

28 juillet
Un avion ! J’ai vu un avion ! Je l’ai d’abord entendu (mon Dieu, que j’aime ce bruit !), j’ai tourné la tête dans tous les sens et je l’ai vu, face au soleil. Je n’ai pas réussi à identifier le modèle, mais j’ai pu le suivre des yeux alors qu’il remontait la vallée. J’ai fait de grands gestes, autant que possible. Je suis tellement épuisée que j’ai du mal à lever les bras au-dessus de ma tête. J’ai aussi déroulé ma couverture pour me faire repérer.
Je suis presque sûre qu’ils m’ont vue car l’avion a fait un grand cercle au-dessus de moi avant de repartir vers le sud. On va enfin venir à mon secours, ce n’est plus qu’une question de temps. Il faut que j’atteigne un endroit où on puisse me rejoindre sans trop m’éloigner d’ici. Et là, je pourrai me reposer et attendre.



Bonjour maman,

En finissant de vider la maison de grand-mère, je suis tombée sur une vieille sacoche en cuir contenant ces pages de journal. Je ne crois pas si tu aies déjà eu l’occasion de les lire. Grand-mère nous a toujours parlé avec beaucoup de naturel de sa longue carrière dans l’aviation, comme s’il s’agissait d’un boulot très banal ayant donné lieu à quelques anecdotes amusantes. Elle nous a bien sûr raconté comment elle avait rencontré grand-père à l’hôpital, en Argentine, après son accident d’avion. Mais elle est toujours restée évasive sur son séjour dans la forêt et sur son sauvetage.
Ce journal m’a permis d’en apprendre plus sur ces trois semaines de solitude et sur le courage qu’il lui a fallu pour survivre. Sais-tu comment elle a été secourue ? Elle ne le raconte pas ici, mais peut-être que grand-père ou elle t’en a parlé. Sinon, j’espère le découvrir en triant ses cartons de courrier. Je te tiendrai au courant de mes recherches.

Je t’embrasse.
Amalia
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Moi, c'est @Léonard, pas @leonard.
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